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Il était une fois La Mamounia

Porteuse de fantasmes orientalistes, La Mamounia maintient le cap depuis presque cent ans. Le mythe persiste, car l’établissement de Marrakech vient d’être élu Meilleur Hotel au monde et en Afrique 2018 par le Conde Nast Traveler USA.
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Il est parfois tapageur, voire vulgaire, de présenter un lieu en citant les grands noms qui s’y sont succédé. Mais il serait injuste de faire l’économie d’un name-dropping dans un article portant sur La Mamounia, immense palace marrakchi dont l’histoire est liée à celles et ceux qui s’y sont arrêtés. Ne serait-ce parce qu’en 1935 Winston Churchill se réjouit dans une lettre à son épouse, parlant d’un “endroit fantastique, un des meilleurs hôtels jamais fréquentés”. À tel point que l’homme d’État décide de s’y arrêter presque chaque hiver pour un mois ou plus, et finit par donner son nom au bar du palace et à sa suite. Ne serait-ce, aussi, parce que les canapés de ses salons orientalistes ont accueilli toute la scène politique française, du général de Gaulle, qui commanda un lit à sa taille, à François Mitterrand et Nicolas Sarkozy.

Paul Valéry et Mick Jagger

Construit en 1923, en plein protectorat français, par les architectes Henri Prost et Antoine Marchisio sous les ordres de la Compagnie des chemins de fer du Maroc, l’établissement, dont le nom fait écho aux jardins offerts deux siècles auparavant par le sultan Sidi Mohamed ben Abdellah à son fils Mamoun, matérialise les rêveries orientalistes des voyageurs européens. Mais aux volumes hispano-mauresques traditionnels, aux carrelages zelliges et aux tapisseries berbères s’ajoute le confort du mobilier Art déco. Paul Valéry, Colette, qui y aurait adopté des chats, Marguerite Yourcenar : les écrivains français y élisent résidence et viennent bercer leurs fantasmes orientalistes hérités du XIXe siècle. À la fin des années 1940, La Mamounia s’agrandit et fait l’objet d’une importante rénovation, attirant dès lors l’élite du cinéma français et hollywoodien. Alfred Hitchcock y filme quelques scènes de L’homme qui en savait trop, alors qu’Orson Welles, Charlie Chaplin et plus tard Jean-Paul Belmondo en font leur point de chute marrakchi. Reflet, comme toute institution, des époques qu’il traverse,  l’endroit accueille aussi les Rolling Stones ou encore Paul McCartney.

Le rêve civilisé

Mais qu’y trouve-t-on, exactement ? Comment expliquer qu’artistes, politiques et créateurs – Yves Saint Laurent, Kenzo, Gianni Versace, etc. –, s’y côtoient ? Sans doute, comme les établissements mythiques de la planète, l’endroit a-t-il su conserver son indépendance et échapper à l’uniformisation souvent voulue par les grands groupes hôteliers. Sans doute, aussi, l’esthétique marocaine et son artisanat, respectés à la lettre par les architectes et décorateurs qui ont rénové les lieux – de Jacques Majorelle en 1923 à Jacques Garcia en 2009 – résistent-ils aux temps et aux modes. Et le service rendu, discret grâce à un système de couloirs souterrains, donne encore aux clients l’impression d’un riad privé. Une atmosphère d’entre-soi, malgré les 135 chambres, 71 suites et 3 riads de 3 chambres que compte désormais le palace. Dans ce “rêve civilisé” comme l’appelait Jacques Brel, les salons à la lumière tamisée se succèdent comme autant d’enclaves intimes et salutaires, après une balade sur la place Jemaa el-Fna. On y dîne à la française, à l’italienne ou, évidemment, à la marocaine, au côté du gotha mondial, voire de Mohammed VI.

Repaire d'esthètes

Doté d’un spa de 2 500 m2, d’un salon de coiffure ou encore d’une boutique Pierre Hermé, l’endroit, qui conquiert désormais un public plus étendu, n’a rien perdu de ses airs de club privé. Hôte privilégié du Festival du film de Marrakech, le palace est l’épicentre culturel d’une ville bouillonnante, passerelle entre l’Afrique et l’Occident. Organisatrice un temps de son propre prix littéraire, La Mamounia récompensait en 2015 Dans le jardin de l’ogre de Leïla Slimani, premier roman de celle qui gagnerait le Goncourt un an plus tard. En mars dernier se tenait, dans les salons du palace, l’édition 2018 de la 1-54 Contemporary African Art Fair, foire dédiée à la jeune scène artistique africaine qui s’était jusqu’ici déroulée à Londres et New York. L’organisatrice ? Touria El Glaoui, petite fille de l’emblématique peintre marocain Hassan El Glaoui, dont la carrière fut lancée au contact d’un certain… Winston Churchill.

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