Pop culture

Quels livres les fans de musique doivent-ils emporter en vacances ?

Une fresque sur l’histoire d’un label mythique de la French Touch, le portrait d’une icône pop, et un récit intimiste autour d’une figure secrète : il y en aura pour tous les goûts.

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La musique est aussi une histoire d’anecdotes, minuscules ou grandioses, de péripéties romanesques ou d'aventures à taille humaine, d’intimités aspirées par la découverte d’un artiste, d’une scène, de passions qui rencontrent des miroirs amicaux, au fil d’une vie. Chacun à leur manière, ces trois livres nous disent quelque chose de leurs auteurs-trice, un quelque chose dans lequel l’on se reconnaît, où se reconnaîtra ceux et celles pour qui la musique excède le statut de produit plus ou moins dispensable déversé dans les tuyaux de telle ou telle application. Environ 100 000 chansons débarquent ainsi quotidiennement sur Spotify, et sans doute, dans cet éboulis se trouvent des pépites d’or, de celles qui font palpiter un peu plus vite, ou plus lentement, c’est selon, les cœurs derrière ces textes. 

Julia Pialat revient, en détails, et avec un sens du récit emballant, sur deux décennies d’Ed Banger, véritable épopée festive et esthétique, celle maison de disques qui a changé la face de la French Touch, l’inventant, l’accompagnant, grâce à la vision de Pedro Winter. De fêtes clandestines en intuitions géniales, de rencontres déterminantes en coups de poker, Winter a bâti les carrières de Justice, Cassius, DJ Mehdi, moins par souci entrepreneurial qu’animé par le désir de partager ses découvertes - c’est ainsi, aimer la musique, c’est vouloir la partager avec le plus grand nombre. Julia Pialat, partie à la rencontre des protagonistes, raconte autant la naissance d’une scène enivrante que tout un monde qui semble aujourd’hui bien lointain, ces nuits folles, d’embardées sauvages en aubes mélancoliques parfois. 

Un monde à lui tout seul, David Bowie ne se laissait pas apprivoiser facilement : sa capacité hors-norme à se jouer des codes, à changer de peau plus vite qu’un serpent (« un serpent peut changer de peau autant de fois qu’il veut, mais c’est toujours le même serpent » disait en substance Nick Cave, à propos de tout à fait autre chose…), pour adopter d’autres personnalités, au gré des projets, de ses découvertes, de sa boulimie d’esthète cultivé (assurément, il était une des « pop stars » les plus instruites et curieuses de sa génération). Il était parfois ainsi compliqué de discerner ce qui, chez lui, relevait de la pose ou du geste sincère.

Dans Very Good Bowie Trip, le passionnant livre qu’il lui consacre, adaptant son podcast diffusé l’été dernier sur France Inter, Michka Assayas, en convient, dès le préambule. Cette « forme particulière de folie » pour reprendre sa formule, décourageait un peu, qui voulait se plonger dans cette œuvre déconcertante entre succès xxl et pas de côté affranchis de la pesanteur. Dans la continuité de son formidable et très personnel Very Good Trip, une histoire intime de la musique (avec Maud Berthomier, GM Editions, 2022), Assayas explique - déplie, si l’on revient à l’étymologie -, d’une écriture précise, au plus près de l’épiderme de la musique et d'une vie hors norme, cet artiste en forme d’origami. En revenant à son parcours familial, en reprenant ses entretiens, toujours passionnants, même dans leurs jeux d'illusions et leurs écrans de fumée, et, surtout à la musique, son incroyable appétit d’aventures nouvelles, il en fait une lecture dont l'enthousiasme est contagieux.

L’on referme ce livre encore plus fasciné par ce musicien qui faisait son miel des inspirations les plus inattendues - le théâtre kabuki -, des icônes de son époque - Warhol, Dylan -, de ses trouvailles qui ont aujourd’hui rejoint l’imaginaire collectif - Jean Genet, The Velvet Underground, le free jazz, Scott Walker -, pour inventer de nouvelles formes, aventureuses, pas nécessairement toujours concluantes (de son propre aveu : la lucidité avec laquelle il analyse son passé stupéfait) et de nouvelles manières d’investir l’idée même de la pop. Sans rien retirer à son génie propre et irréductible, observer Lana del Rey construire sa discographie en toute liberté renvoie spontanément à la démarche de Bowie. 

D’un de ses modèles, frère d’aventures, Scott Walker, François Gorin a fait un portrait saisissant, dans un récit où il est justement question d’arpenter des terres neuves : en suivant à la trace ce qui a conduit Walker d’un destin de star préformatée à une vie résolument dans les marges du confort. De biais, en suivant le fil de sa découverte de l’œuvre de son sujet, Gorin, styliste précieux (c’est-à-dire rare, nulle coquetterie superflue dans son écriture), capte avec tact, précaution presque, les mouvements lents de l’évolution d’un organisme vivant créatif - faute de mieux, c’est la biologie qu’il faut convoquer, tant rien n’est semblable à ce travail sur la matière sonore comme source d’émotions brûlantes. Explorer la discographie de Walker c’est visiter des volcans éruptifs, des glaciers grinçants, des grottes luminescentes, ces grandes profondeurs océaniques où clignotent des poissons-gargouilles, bref, ce n’est pas de tout repos, mais peu d’expériences sont aussi exaltantes et remettent les boussoles du bon sens à leur place : la poubelle.  Si l’on a élu ces trois livres, c’est que chacun offre un reflet juste à cette imparable formule de Kurt Vonnegut : « the music will still be wonderful. »

Julia Pialat : Ed Banger Records. Une histoire des musiques électroniques françaises. (Editions Séguier ,448 pages, 22,90 euros)

François Gorin :Scott Walker* Chronique d’une obsession (Editions Le Boulon, 172 pages, 18€)

Michka Assayas : Very Good Bowie Trip (GM Editions, 176 pages, 20 €)

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Julia Pialat : Ed Banger Records. Une histoire des musiques électroniques françaises. (Editions Séguier ,448 pages, 22,90 euros)
François Gorin :Scott Walker* Chronique d’une obsession (Editions Le Boulon, 172 pages, 18€)
Michka Assayas : Very Good Bowie Trip (GM Editions, 176 pages, 20 €)

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