Kevin Grossmann : « le Maroc, c’est mon ascendance africaine et spirituelle »
Avocat au Barreau de Paris depuis vingt ans, Kevin Grossmann aka, le stratège des présidents est connu pour être l’un des meilleurs experts de l’arbitrage et des questions d’immunités souveraines et diplomatiques. Formé pendant ses sept premières années d’exercice au sein du cabinet Coudert Brothers, il a ensuite poursuivi son expertise des dossiers internationaux auprès d’autres cabinets anglo-saxons avant de fonder le Cabinet Grossmann en 2012. L'Officiel Hommes l'a rencontré.
Loué pour sa discrétion et son efficacité, il devient rapidement l’avocat que les chefs d’États se disputent. Toujours du côté des souverains et de leurs familles, Kevin Grossmann a déjà représenté avec succès près d’une vingtaine d’États dans le cadre de grands arbitrages et dossiers judiciaires à retentissement. Pour lui, la souveraineté d’un État étranger et de ses représentants n’est pas négociable. Son cabinet se range aux côtés des nations et s’engage pour que prévale l’intérêt public sur l’intérêt privé. Sa passion et sa détermination lui ont permis d’être à l’origine d’un basculement du droit international en 2018 changeant ainsi la donne pour tous les pays du monde ainsi que leurs représentations en France.
Aujourd’hui Kevin Grossmann navigue avec aisance dans les cercles du pouvoir. Une capacité unique qui lui a été transmise par ses parents, tous deux banquiers et enfants d’immigrés, du Maroc pour sa mère, d’Europe de l’Est pour son père.
Si Kevin Grossmann gagne et conserve la confiance des gouvernants, c’est d’abord au service d’un objectif plus personnel, celui du respect de la souveraineté des États contre les assauts d’un système judiciaire et arbitral qui a pour agenda de déposséder les États des privilèges et immunités que leur reconnaît la coutume internationale. Une coutume qui a précédé les institutions judiciaires contemporaines et qui leur survivra.
L’Officiel Hommes : Passion ou vocation précoce, qu’est-ce qui vous a amené à devenir avocat ?
Kevin Grossmann : Un profond désir de revanche doublé d’une aversion pour l’autorité illégitime. Une ambition de protéger les miens et aujourd’hui de faire barrage pour mes clients. On me désigne désormais pour l’audace que l’on me reprochait hier et qu’on appelait insolence. Très tôt, j’ai compris qu’avoir raison ne garantissait aucun résultat. Que pour parvenir il fallait esquiver, contourner et attendre. Mettre son esprit au service d’un objectif lointain. Silence et patience sont les ingrédients de la réussite. Être avocat c’est faire siennes les guerres des autres.
Vous avez travaillé pendant plus de dix ans dans des cabinets américains renommés avant de lancer le vôtre en 2012. Racontez-nous ce parcours.
K.G. : Issu d’une famille de banquiers, le monde des avocats m’était inconnu. Lorsque j’ai pénétré en décembre 2000, le gigantesque premier étage feutré du Cabinet Coudert Brothers, 52 avenue des Champs-Élysées, j’ai découvert le fleuron des cabinets. Un décor de Visconti, occupé par les plus brillants avocats de l’époque, mis au service des plus beaux clients et des dossiers internationaux les plus complexes, enviés par tous les autres cabinets. J’ai par la suite intégré d’autres prestigieuses structures mais qui ne partageaient pas mon engagement au service des États, préférant les attaquer plutôt que les défendre. J’ai donc décidé de créer mon cabinet en 2012, entièrement dédié à la défense des États et de leurs souverains contre l’agenda d’opposants politiques et économiques utilisant l’arbitrage pour maquiller leurs ambitions de déstabilisation territoriale.
Lorsque vous avez lancé votre cabinet, quels ont été vos plus gros challenges ?
Le défi a été de créer un cabinet qui ne servirait pas les intérêts privés mais qui serait consacré à la défense des États et de leurs souverains. Ne pas céder aux sirènes du privé. Convaincu que l’État est du bon côté de l’histoire. Que l’État africain n’a pas à baisser la tête. Ne pas céder aux menaces, nombreuses. Quand on s’attaque au pouvoir en place, qu’il soit politique ou financier ; quand on dénonce les conflits d’intérêts, on s’expose aux hordes de la violence.
Le cabinet Grossmann est spécialisé dans la défense des immunités souveraines et diplomatiques ainsi que l’arbitrage international, pourriez-vous nous expliquer ceci plus en détail ?
Les États souffrent de l’arbitrage. Ils ne sont que 197 contre des milliards d’entreprises et investisseurs. L’État est une cible attaquée de toutes parts. Et pourtant l’État est la seule entité à détenir le sésame que même l’homme le plus riche du monde ne pourrait pas s’offrir : l’immunité. C’est un atout capital auquel il ne faut jamais renoncer et qu’il faut défendre. C’est la dernière barrière contre l’ennemi. Que l’État, acteur incontournable du monde économique, doive répondre de ses agissements comme de ses obligations, légales ou conventionnelles, nul ne devrait s’en offusquer. Mais cela ne devrait pas aller de pair avec un dépouillement en règle de privilèges et immunités qui ont un sens, une portée et un objectif bien plus élevés que celui des seuls intérêts privés de quelques actionnaires, à savoir ceux de toute une nation et de son peuple. C’est mon combat de les défendre contre le reste du monde.
Quels sont les procès que vous avez remportés et dont vous êtes le plus fier ?
Les procès remportés sont nombreux. J’ai permis que beaucoup de saisies de biens souverains soient annulées afin que mes clients récupèrent leur patrimoine. En 2018, j’ai obtenu un revirement de jurisprudence inédit et inattendu qui a fait basculer le droit international et donc la coutume. J’attache une grande vigilance aux clauses de renonciation à l’immunité. Un partenaire qui exige une renonciation à l’immunité n’est pas un partenaire, c’est un adversaire ; la demande de renonciation est un indice augurant une relation contractuelle mal intentionnée. Ma fierté est d’avoir démontré qu’aucun adversaire n’était jamais trop puissant ni trop riche pour être combattu et vaincu. Même une montagne a ses faiblesses.
Vous êtes présenté comme le « stratège des présidents ». Que se cache derrière cette dénomination ?
Le désir de servir au plus haut niveau tout en restant à ma place. Les Présidents savent que je ne suis pas un énième avocat blanc prêt à toutes les fables pour remporter le mandat. Je sais bâtir des stratégies à long terme. L’adversaire des États est mortel. Mes clients ne le sont pas. Nous avons le temps pour nous. Le temps a démontré que je savais garder les plus grands secrets. Que je pouvais endosser les difficultés et décréter l’enfer pour la partie adverse.
Qui sont ces présidents ou ces grandes personnalités que vous avez défendus ?
La discrétion est dans mon ADN. Servir sans dire est une exigence. Ma fidélité est sans faille. Le pouvoir me fait confiance. De la protection des présidences à la sauvegarde des intérêts royaux, mes adversaires ne soupçonnent pas mon endurance.
Après plus de 20 ans de carrière, comment percevez-vous le monde judiciaire et son évolution ?
Je ne puis que regretter l’utilisation de la justice au service d’agendas politiques à peine dissimulés. Magistrats et avocats devraient travailler ensemble ou du moins côte à côte. Quant à l’arbitrage, je ne puis que le déconseiller à mes clients. Il ne sert que les intérêts adverses. Ceux qui suggèrent le contraire font partie du problème. Il ne faut jamais avoir à faire à la justice. Elle est toujours longue et couteuse.
Qui sont vos mentors ou vos sources d’inspiration ?
L’esprit de François Mitterrand reste inégalé. L’homme de cour de Baltasar Gracian est une lecture nécessaire. Quant à l’ambition esthétique et paternelle de Moïse de Camondo, c’est un héritage exemplaire et majeur.
Selon vous, comment définir un bon avocat ?
Ne pas dire au client ce qu’il a envie d’entendre mais ce qui va le faire gagner. C’est subir les difficultés à la place de son client. Mener le combat pour lui. Un bon avocat est aussi celui qui n’est pas sur la défensive même lorsqu’il est en défense. Il faut toujours être en position d’attaque. Ne pas se contenter de répondre à l’ennemi. Ce n’est pas à lui de dicter le procès. Il faut prendre toute la place.
Vous êtes également collectionneur d’oeuvres d’art, pourriez-vous nous en dire plus ?
Ma famille m’a transmis le goût de l’étranger et du métissage. Depuis plusieurs années, j’ai bâti une collection d’art islamique. J’ai la passion des peintures Qajar. Ce sont des oeuvres singulières, très décoratives et qui traduisent un esprit de cour éclairé. Le symbolisme est très présent. Le visible et l’invisible du soufisme, le positionnement des animaux comme des fruits est une science que l’on retrouve dans le livre des rois de Ferdowsi. Au Maroc, j’ai acquis de très beaux bijoux dont des mains de fatma en or ornées d’émeraudes et de rubis. L’artisanat marocain est mondialement réputé et je le disperse au cabinet comme à la maison.
D’autres passions dans la vie ?
Vivre en dehors du temps. Dans le respect des superstitions. La prière matinale doublée d’exercices physiques avec un coach corse très exigeant crée une bulle protectrice. La lecture est très importante. Le corps ne survit pas sans l’esprit et vice-versa. Il faut donc constamment exercer les deux. Passion harira également, comment ne pas l’évoquer ? La cuisiner et la manger.
Aimez-vous la mode ? Si oui, comment définiriez-vous votre style ?
J’exerce un métier de représentation. Ce n’est pas moi que je mets en avant mais mon esprit au service de mon client. Sobriété toujours. Ce n’est pas tant la mode qui m’importe mais plutôt le style. Choisir un vêtement c’est aussi dire quelque chose de soi. Il peut être une armure. Le costume est incontournable. En toute occasion, le dark blue fonctionne. Less is more. Je ne suis pas adepte des accessoires.
Vos marques préférées ?
J’ai la chance d’être français et parisien et donc de vivre entouré de très belles maisons. Le smoking Saint-Laurent est un must.
Et les montres que vous aimez ?
La griffe Cartier reste inégalée. Hublot propose des modèles uniques très intéressants.
Votre maman est marocaine, avez-vous déjà visité le Maroc ? Si oui, quelles villes avez-vous appréciées ? Quels endroits avez-vous aimés plus particulièrement ?
Le Maroc c’est mon ascendance africaine et spirituelle. Ce n’est pas un pays comme les autres. C’est une culture sophistiquée, riche et singulière. Je suis particulièrement fier de cette filiation. J’y vais le plus souvent possible et en famille. Me perdre au fond des jardins de la Mamounia, saluer les tortues et respirer la fleur d’oranger. Le paradis doit ressembler à ces instants. La figure de la femme marocaine est importante. Je n’oublierai pas les mots de paix de l’excellente Ambassadrice de sa majesté le Roi du Maroc, Samira Sitaïl. Le Maroc est un État dont la voix porte et s’impose.
Vous êtes papa, avocat, mais également intervenant au sein de plusieurs prestigieuses universités, quels sont les conseils que vous donneriez à la jeune génération ?
Faire plus que les autres. Choisir une discipline de coeur et non de nécessité. Celui qui s’exerce à pratiquer la discipline aimée sera meilleur sachant que son voisin et c’est donc lui que l’on sollicitera et que l’on rétribuera pour agir et porter le fer. Pour le reste, silence et patience toujours. Qui veut tuer ne prévient pas.