Trois ans après la polémique Much Loved, Nabil Ayouch porte à l’écran une quête de liberté entre désirs et frustrations de cinq personnages avec Razzia. Un film co-écrit avec son épouse Maryam Touzani qui nous promène entre le Casablanca d’aujourd’hui et les montagnes de l’Atlas des années 80.

&ldquo; Heureux celui qui vit selon ses d&eacute;sirs &rdquo; C&rsquo;est avec ce po&egrave;me berb&egrave;re que d&eacute;bute Razzia. Apr&egrave;s Ali Zaoua, Les Chevaux de Dieu et Much Loved, Razzia, sorti en salles le 14 f&eacute;vrier dernier a re&ccedil;u un bel accueil de la part du public, caracolant en t&ecirc;te du box-office. Interview crois&eacute;e avec Nabil Ayouch et Maryam Touzani, les co-sc&eacute;naristes de ce film, touchant, juste, parfois troublant, mais si r&eacute;aliste.

Making Of Shooting L'Officiel Hommes

Qu&rsquo;est ce qui vous a inspir&eacute; ce film ? 

Nabil Ayouch : &laquo; J&rsquo;ai &eacute;t&eacute; inspir&eacute; par des personnages crois&eacute;s tout au long de ces vingt derni&egrave;res ann&eacute;es, des personnages que j&rsquo;ai aim&eacute; et &agrave; qui j&rsquo;ai souhait&eacute; donner de la voix. Pendant longtemps, j&rsquo;ai cru que ces personnages faisaient partie de minorit&eacute;s et je me suis rendu compte que toutes ces minorit&eacute;s au fond, formaient une majorit&eacute; silencieuse, mais une majorit&eacute; quand m&ecirc;me. J&rsquo;aime les minorit&eacute;s, je m&rsquo;en sens proche en tout cas.

Maryam Touzani : &laquo; C&rsquo;est un film de lutte intime, de lutte individuelle, ce sont des combats de l&rsquo;intime en r&eacute;alit&eacute;, le combatde personnages qui se battent, chacun &agrave; leur mani&egrave;re, chacun dans son coin, quelques-uns en silence, d&rsquo;autres de mani&egrave;re plus manifeste... Finalement, la vie ce sont tous ces combats-l&agrave;. Il est important de prendre conscience des combats des autres, de ne pas se sentir seul. Ensemble, on forme une vraie majorit&eacute;, on a une vraie force, une vraie puissance, on peut changer les choses. Il ne faut pas avoir peur d&rsquo;aller jusqu&rsquo;au bout. Lorsqu&rsquo;on sait qu&rsquo;on n&rsquo;est pas seul, on devient plus courageux. Il faut chercher ce courage &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur et le chercher chez les autres. &Agrave; partir du moment o&ugrave; on est conscient de cela, on ouvre le champ de tous les possibles.

Pourquoi avoir choisi d&rsquo;appeler ce film Razzia ?

Nabil Ayouch : La razzia est un mot d&rsquo;origine arabe qui vient de &laquo; razzoua &raquo;. Ce terme a ensuite &eacute;t&eacute; utilis&eacute; par les Italiens et d&rsquo;autres nations par la suite. Il signifie mettre &agrave; sac ses ennemis, arriver, gagner, conqu&eacute;rir, prendre ce qui ne nous appartient pas et repartir avec. On ne peut pas continuer de prendre impun&eacute;ment ce qui ne nous appartient pas, parce qu&rsquo;&agrave; un moment ou &agrave; un autre, on va venir le r&eacute;clamer. Les libert&eacute;s individuelles, si on parle de cela, c&rsquo;est quelque chose qui ne se confisque pas ind&eacute;finiment car ce sont des br&egrave;ches que l&rsquo;on referme l&agrave; o&ugrave; l&rsquo;&ecirc;tre humain, par nature, a un besoin et une soif de libert&eacute;.

&laquo; Au Maroc, les gens ne se croisent pas forc&eacute;ment, parce qu&rsquo;il existe tr&egrave;s peu de lieux de mixit&eacute;, mais on reste reli&eacute;s par des fils invisibles &raquo;

Le film pr&eacute;sente cinq destins, sans pour autant qu&rsquo;ils se croisent ou se rencontrent. Pourquoi avoir choisi d&rsquo;en faire un lm choral ? 

Nabil Ayouch : Il n&rsquo;y a pas qu&rsquo;une seule mani&egrave;re pour exprimer ce d&eacute;sir de libert&eacute; ou pour exprimer la solitude. Qu&rsquo;on soit une petite fille enferm&eacute;e dans sa baraque dans les faubourgs d&rsquo;Anfa ou un gamin de la m&eacute;dina, il y a quelque chose qui nous relie, c&rsquo;est aussi &ccedil;a le Maroc. Certains refusent de l&rsquo;admettre, mais au Maroc, les gens ne parlent pas forc&eacute;ment la m&ecirc;me langue et ne se croisent pas forc&eacute;ment, parce qu&rsquo;il existe tr&egrave;s peu de lieux de mixit&eacute;, mais on reste reli&eacute;s par des fils invisibles, transparents.

Ce film explore de nombreux sujets : antis&eacute;mitisme, droit des femmes, injustice sociale... mais l&rsquo;&eacute;ducation et les libert&eacute;s individuelles restent les deux sujets majeurs. Pouvez-vous nous en parler plus pr&eacute;cis&eacute;ment ?

Nabil Ayouch : Concernant l&rsquo;&eacute;ducation, si l&rsquo;on remonte au d&eacute;but des ann&eacute;es 80, l&rsquo;Etat mettait en place la r&eacute;forme de l&rsquo;arabisation du syst&egrave;me &eacute;ducatif d&eacute;j&agrave; entam&eacute;e apr&egrave;s le protectorat. &Agrave; un moment, ils ont mis un coup d&rsquo;acc&eacute;l&eacute;rateur pour passer &agrave; la vitesse sup&eacute;rieure. On veut uniformiser, mais en m&ecirc;me temps on ne pr&eacute;pare personne, ni le professeur ni le lien avec les &eacute;l&egrave;ves, et donc forc&eacute;ment, on se trompe. On retire la philo, la socio du programme, on retire l&rsquo;esprit critique, on retire donc la capacit&eacute; &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir et &agrave; penser le monde, &agrave; parler de nous et de nos rep&egrave;res, et puis derri&egrave;re se met en place une machine dans laquelle on broie l&rsquo;individu et on finit par construire l&rsquo;ignorance. Surtout quand on fait venir des professeurs du Moyen-Orient qui n&rsquo;ont rien &agrave; voir avec notre culture marocaine ancestrale. Forc&eacute;ment, une g&eacute;n&eacute;ration plus tard, et on y est, il y a des d&eacute;g&acirc;ts. Maintenant, on essaye de faire machine arri&egrave;re et heureusement, mais les d&eacute;g&acirc;ts se traduisent aussi dans la mani&egrave;re de voir le monde.

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Les femmes fortes occupent une place importante dans Razzia. Parlez-nous de votre vision de la femme dans la soci&eacute;t&eacute; ?

Maryam Touzani : Je pense que les femmes ont besoin d&rsquo;exemples de femmes fortes, parce que parfois elles ont besoin de donner un visage &agrave; leur courage aussi. Les femmes fortes existent partout dans notre soci&eacute;t&eacute; et ailleurs, mais parfois leurs combats, leurs luttes, leurs r&eacute;sistances ne sont pas faciles &agrave; appr&eacute;hender, donc on ne les reconnait pas.

Nabil Ayouch : Que ce soit Yto, In&egrave;s ou Salima, ce sont des femmes qui m&egrave;nent un combat, &eacute;videmment chacune &agrave; leur mani&egrave;re, mais ce sont des femmes fortes, courageuses qui a un moment de leur vie, sont conscientes que leurs combats n&rsquo;aboutiront &agrave; rien si elles ne les m&egrave;nent pas. Les hommes ne vont rien leur c&eacute;der. Nous sommes dans une soci&eacute;t&eacute; compl&egrave;tement patriarcale o&ugrave; ce sont les hommes qui dominent. Je suis heurt&eacute; par le peu de place que l&rsquo;on conc&egrave;de &agrave; la femme dans la soci&eacute;t&eacute;, en politique, dans l&rsquo;entreprise, dans le monde des arts et de la culture ou dans la rue si on parle d&rsquo;espace public ! Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas : une soci&eacute;t&eacute; qui veut fonctionner avec 50% de sa population aux commandes, ce n&rsquo;est pas possible.

Vous &ecirc;tes tomb&eacute;e enceinte pendant le tournage du film, cela a-t-il &eacute;t&eacute; perturbant ?

Maryam Touzani : J&rsquo;ai appris la veille d&rsquo;une s&eacute;quence o&ugrave; Salima devait se faire avorter que j&rsquo;&eacute;tais enceinte. C&rsquo;&eacute;tait un moment tr&egrave;s intense. On &eacute;tait extr&ecirc;mement heureux, j&rsquo;&eacute;tais enceinte de presque deux mois, alors que je n&rsquo;en avais aucune id&eacute;e. J&rsquo;avais un petit &ecirc;tre qui grandissait en moi et me remplissait de bonheur et le lendemain, je devais tourner cette s&eacute;quence terrible o&ugrave; Salima va se faire avorter. C&rsquo;&eacute;tait dur parce que c&rsquo;&eacute;tait un m&eacute;lange d&rsquo;&eacute;motions incroyables : c&rsquo;&eacute;tait violent, intense, beau, c&rsquo;&eacute;tait ressentir dans ma chair tout ce que cette femme ressentait parce que au fond, Salima n&rsquo;a pas envie de se d&eacute;barrasser de son enfant. Elle veut avorter parce qu&rsquo;elle n&rsquo;a pas le courage, parce qu&rsquo;elle pense que cet enfant va l&rsquo;emprisonner davantage, mais elle ne veut pas s&rsquo;en d&eacute;barrasser. Je me suis retrouv&eacute;e dans cette r&eacute;alit&eacute; l&agrave;, qui &eacute;tait la sienne. Etre l&agrave; avec un enfant, avec ce bonheur que je venais de d&eacute;couvrir et de me poser les m&ecirc;mes questions, ressentir quelque part ce qu&rsquo;elle avait v&eacute;cu. Cette grossesse nalement, c&rsquo;&eacute;tait quelque chose qui est venu dans le lm, se m&eacute;langer &agrave; la r&eacute;alit&eacute; de mon personnage qui me ressemblait &eacute;galement beaucoup.

Pendant le tournage, qu&rsquo;est ce que cela fait d&rsquo;&ecirc;tre dirig&eacute;e par son mari ?

Maryam Touzani : Etre dirig&eacute; par son mari c&rsquo;est tout &agrave; fait autre chose. Me retrouver pour la premi&egrave;re fois devant la cam&eacute;ra en &eacute;tant dirig&eacute;e par quelqu&rsquo;un comme lui c&rsquo;&eacute;tait pour moi merveilleux, tr&egrave;s intense, charg&eacute; &eacute;motionnellement, vraiment tr&egrave;s beau. J&rsquo;ai senti que Nabil m&rsquo;aidait &agrave; chercher en moi toutes ces choses que j&rsquo;avais envie d&rsquo;exprimer l&agrave; o&ugrave; je n&rsquo;y arrivais pas forc&eacute;ment. Il savait comment faire pour m&rsquo;aider &agrave; creuser, &agrave; briser ces barri&egrave;res int&eacute;rieures que l&rsquo;on se met parfois sans s&rsquo;en rendre compte. Et arriver &agrave; lib&eacute;rer ces &eacute;motions qui devaient transparaitre dans ce personnage de Salima. C&rsquo;&eacute;tait une exp&eacute;rience inoubliable qui m&rsquo;a marqu&eacute;e.

Quels sont vos projets pour l&#39;avenir ?

Nabil Ayouch : Je suis en train d&rsquo;&eacute;crire un sc&eacute;nario sur l&rsquo;&eacute;volution de la culture Hip-Hop au Maroc, il sera tourn&eacute; courant 2018.&raquo; Maryam Touzani : Je vais bient&ocirc;t sortir mon premier long m&eacute;trage. Je ne sais pas si je deviendrai com&eacute;dienne, mais je pense que je dois &ecirc;tre convaincue avant de me lancer dans toute exp&eacute;rience.&raquo;

&nbsp;Texte: Zineb Achraf

Photo : Christian Mamoun

Vid&eacute;o: Mohamed Hajji

Stylisme : Rachida Mekouar

Mise en beaut&eacute;: Institut Gilles Laurent Casablanca

Cinéma: Razzia ou l’hymne à la liberté

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