S’ennuierait-on, passé minuit, dans les capitales ? C’est au loin, du côté des jeunes collectifs underground du monde entier, qu’il faut chercher pour trouver l’avenir du clubbing, entre culture militante et réappropriation des héritages musicaux locaux.

Paris, octobre 2017. Une foule de n&eacute;o-weirdos s&rsquo;engouffre au num&eacute;ro 114 de la rue Oberkampf. C&rsquo;est ici que vient d&rsquo;ouvrir le 824 heures, club &eacute;ph&eacute;m&egrave;re et derni&egrave;re bonne id&eacute;e du collectif Bonjour Bonsoir. Ici, pas de photos autoris&eacute;es, mais un &ldquo;espace de libert&eacute;, un lieu n&eacute;o-punk-paillettes qui ne conna&icirc;t de limite que son obsoles- cence programm&eacute;e&rdquo;. Un d&eacute;cor entre le squat seventies et le n&eacute;on r&eacute;tro comme sorti de l&rsquo;imagination d&rsquo;Alessandro Michele, une programmation exigeante et, surtout, le sourire revenu sur le visage des Parisiens qui sortent. Une aubaine dans une capitale o&ugrave; la f&ecirc;te se joue d&eacute;sormais entre clubs &eacute;litistes et afters bond&eacute;s. Fin des hostilit&eacute;s? Le 29 avril. O&ugrave; dansera-t-on apr&egrave;s? &Agrave; Londres, o&ugrave; le nombre de bo&icirc;tes a diminu&eacute; de moiti&eacute; depuis 2005? &Agrave; New York? M&ecirc;me combat, m&ecirc;me musique, m&ecirc;me foule. Non, c&rsquo;est ailleurs que &ccedil;a s&rsquo;agite, entre les plages du Mexique et les sous-sols de Kiev, les cabanes de Durban et les festivals hip-hop perdus au milieu de la Chine.

L&rsquo;allemagne&nbsp;et les pays nordiques : L&rsquo;entre-soi

Alors qu&rsquo;une campagne anti-touristes s&eacute;vit &agrave; Berlin depuis quelques ann&eacute;es et que des institutions comme le Berghain peinent &agrave; maintenir une aura d&rsquo;exclusivit&eacute;, on voit &eacute;merger des clubs plus intimistes, o&ugrave; les communaut&eacute;s cr&eacute;atives locales ou transnationales se retrouvent dans des soir&eacute;es plus ax&eacute;es sur la musique que sur la f&ecirc;te elle-m&ecirc;me. On sort au Ohm et au Monarch pour d&eacute;couvrir des collectifs comme le tr&egrave;s arty- queer Creamcake, visant &agrave; promouvoir les jeunes artistes rep&eacute;- r&eacute;s sur les r&eacute;seaux sociaux, les t&ecirc;tes chercheuses de Trade pour leurs DJs &agrave; l&rsquo;avant-garde ou encore Berries, ambassadeurs d&rsquo;un hip-hop new school, engag&eacute; et f&eacute;ministe. Et si l&rsquo;e ervescence berlinoise nous &eacute;puise, on le plus au calme, &agrave; D&uuml;sseldorf, o&ugrave; le Salon des Amateurs et le plus r&eacute;cent Golzheim re&ccedil;oivent les fous de deep house, trans et minimal dans des ambiances &eacute;ru- dites et des salles &agrave; la capacit&eacute; volontairement r&eacute;duite. Une atmosph&egrave;re intime d&eacute;sormais ultra-pris&eacute;e dans les pays scandinaves. &Agrave; Copenhague, le Mayhem, dont l&rsquo;entr&eacute;e est tel- lement introuvable que personne n&rsquo;arrive l&agrave; par hasard, invite des artistes exp&eacute;rimentaux, des performeurs live et des DJs dans une recherche constante de nouvelles exp&eacute;riences sonores, quand les collectifs Klub Ana et Rare Nights transforment le quasi-squat Stengade en meeting point des jeunes cools de la ville. &Agrave; Stockholm, au Hosoi, club nich&eacute; dans l&rsquo;h&ocirc;tel At Six, on se rend &agrave; des listening sessions o&ugrave; se c&ocirc;toient grand public, jeunes DJs et producteurs en rep&eacute;rage. On termine son tour de Scandinavie &agrave; Oslo, o&ugrave; le J&aelig;ger s&rsquo;&eacute;rige en d&eacute;fenseur d&rsquo;un nouvel esprit, &agrave; la fois anarchiste et &eacute;rudit.

Le new east: la r&eacute;volution rave

&Agrave; l&rsquo;heure o&ugrave; Berlin ne mise plus sur ses f&ecirc;tes sauvages et techno, c&rsquo;est d&eacute;sormais plus &agrave; l&rsquo;est qu&rsquo;il faut migrer, dans les pays post-sovi&eacute;tiques, o&ugrave; l&rsquo;av&egrave;nement r&eacute;cent des raves semble symboliser la n de d&eacute;cennies d&rsquo;oppression. &Agrave; Tbilissi, en G&eacute;orgie, c&rsquo;est dans les gradins du stade national de foot Dinamo Arena que se trouve l&rsquo;entr&eacute;e du Bassiani, suite de cou- loirs en b&eacute;ton arm&eacute; o&ugrave; r&eacute;sonnent les imposants beats techno de DJs internationaux, et dans la piscine d&eacute;sa ect&eacute;e que se trouve la piste de danse o&ugrave; s&rsquo;agite jusqu&rsquo;&agrave; midi une faune d&rsquo;avertis venus du monde entier. Plus que &ccedil;a, le Bassiani s&rsquo;impose en d&eacute;fenseur d&rsquo;une libert&eacute; nouvelle quoique encore balbutiante. En t&eacute;moignent les Horoom Nights, soir&eacute;es queer auxquelles on acc&egrave;de apr&egrave;s avoir enregistr&eacute; son identit&eacute; et son compte Face- book, une mesure visant &agrave; garantir la s&eacute;curit&eacute; des clubbeurs dans un pays o&ugrave; 90 % de la population consid&egrave;re l&rsquo;homosexua- lit&eacute; comme &ldquo;totalement inacceptable&rdquo;. &Agrave; Kiev, c&rsquo;est d&eacute;sormais au CXEMA &ndash; &eacute;rig&eacute; en symbole de la r&eacute;volution cr&eacute;ative qui a suivi les &eacute;v&eacute;nements politiques de 2014 &ndash; qu&rsquo;on se retrouve pour des raves sauvages dans des b&acirc;timents d&eacute;sa ect&eacute;s, entour&eacute; d&rsquo;une jeunesse locale dop&eacute;e au sportswear vintage. Ici comme au Closer, autre temple de la nuit connu pour ses &eacute;v&eacute;nements non-stop du vendredi soir au lundi apr&egrave;s-midi, on s&rsquo;agite sur une techno exp&eacute;rimentale amen&eacute;e par des DJs comme Lollibou, des artistes comme Casablanca 913 et des labels comme le Systema, collectif bas&eacute; &agrave; Odessa, connu aussi bien pour ses soir&eacute;es ambient que pour son image post-gothique.

L&rsquo;am&eacute;rique latine : une nouvelle identit&eacute; et des f&ecirc;tes clandestines

Si les spots touristiques du Mexique se sont mu&eacute;s en repaires pour spring breakers, la capitale a vu &eacute;merger depuis quelques ann&eacute;es une toute nouvelle sc&egrave;ne underground. En t&ecirc;te de file, le collectif NAAFI, connu pour ses artistes et ses DJs dont les beats &eacute;lectro croisent des in uences m&eacute;tiss&eacute;es, du voguing au reggaeton en passant par des rythmes tribaux et latino-am&eacute;ri- cains. Organis&eacute;s sur les plages &agrave; l&rsquo;abri des touristes, dans des centres culturels, dans des b&acirc;timents d&eacute;sa ect&eacute;s et dans des clubs comme le tr&egrave;s r&eacute;cent Yu Yu, leurs &eacute;v&eacute;nements rassemblent la jeunesse du pays dans un esprit n&eacute;o-libertaire, mais aussi des performeurs alternatifs venus de New York, de Londres ou d&rsquo;Afrique du Sud, r&eacute;conciliant sentiment d&rsquo;appartenance &agrave; la communaut&eacute; latino-am&eacute;ricaine et culture clubbing globalis&eacute;e. Une entente plus d&eacute;licate dans des villes comme S&atilde;o Paulo, au Br&eacute;sil, o&ugrave; la gentri cation r&eacute;cente a conduit les autorit&eacute;s &agrave; favoriser les gros promoteurs et les &eacute;tablissements &agrave; plusieurs &eacute;tages, aux d&eacute;pens de clubs plus pointus qui, eux, ont d&ucirc; fermer leurs portes. Et si on peut encore compter sur des lieux comme la Casa da Luz, villa du xixe si&egrave;cle ultra-courue pour ses soir&eacute;es hip-hop et &eacute;lectro, c&rsquo;est d&eacute;sormais du c&ocirc;t&eacute; de collectifs &eacute;mer- gents qu&rsquo;il faut se pencher pour retrouver le temp&eacute;rament de la ville, entre engagement politique, jeunes talents et communaut&eacute; queer. &Agrave; retenir, les f&eacute;ministes de Mamba Negra, Metanol FM ou Vampire Haus, dont les &eacute;v&eacute;nements techno &agrave; la limite de la l&eacute;galit&eacute; sont annonc&eacute;s deux jours avant sur Facebook.

L&rsquo;afrique : Le nouveau temple &eacute;lectro

Privil&eacute;gi&eacute;e par les clubbeurs occidentaux pour l&rsquo;AfrikaBurn, organis&eacute; chaque ann&eacute;e depuis 2007 par les &eacute;quipes du d&eacute;sor- mais gentri &eacute; Burning Man, l&rsquo;Afrique du Sud accueille surtout la sc&egrave;ne &eacute;lectro la plus vibrante du continent. Rendez-vous au Fiction et au Waiting Room, au Cap, pour d&eacute;couvrir les DJs afro-house et afro-tech locaux. Mais surtout, on fait le d&eacute;pla- cement du c&ocirc;t&eacute; de Durban, ville c&ocirc;ti&egrave;re et berceau du gqom, mouvement &eacute;lectro n&eacute; autour de 2013 et dont les sonorit&eacute;s brutes, percutantes et parfois tribales s&rsquo;exportent d&eacute;j&agrave; dans les meilleurs labels et bo&icirc;tes d&rsquo;Europe. Passage oblig&eacute; pour tous les avertis, les taxis tun&eacute;s qui di usent du gqom &agrave; pleines basses et nous am&egrave;nent dans les clubs de South Beach pour un mix du collectif Rudeboyz (s&rsquo;ils ne sont pas en tourn&eacute;e aux US). En plein boom &eacute;galement, les villes d&rsquo;Afrique de l&rsquo;Est, comme Kampala, en Ouganda, o&ugrave; o cie le label Nyege Nyege, qui produit les meilleurs artistes techno panafricains issus de mouvements ultra-locaux: le balani au Mali, le hipco au Libe- ria ou le chaabi en &Eacute;gypte. Mais surtout Nairobi, au Kenya, qui a vu na&icirc;tre tr&egrave;s r&eacute;cemment le mouvement hip-hop Nu Nairobi, cr&eacute;&eacute; par le jeune collectif EA Wave. R&eacute;unissant artistes visuels, producteurs et DJs, le crew c&eacute;l&egrave;bre l&rsquo;h&eacute;ritage kenyan, qu&rsquo;il m&ecirc;le &agrave; un style sportswear ultra-contemporain dans des morceaux encore di ciles &agrave; d&eacute;nicher, mais dont le ow se trouve quelque part entre Tyler, The Creator, Frank Ocean et Rejjie Snow. Officiant au c&ocirc;t&eacute; d&rsquo;un autre collectif, Cosmic Homies O.N.E.,&nbsp;ils forment un nouveau mouvement &agrave; suivre de tr&egrave;s pr&egrave;s et &agrave; aller d&eacute;couvrir &agrave; l&rsquo;Alchemist, le meilleur club de Nairobi.

La&nbsp;chine : La&nbsp;mont&eacute;e hip-hop

Fin janvier 2018, le gouvernement chinois bannissait le hip- hop de toute apparition m&eacute;diatique, dans une campagne pr&eacute;- textant la valorisation d&rsquo;une &ldquo;culture noble et saine&rdquo;. Un b&acirc;ton de plus dans les roues d&rsquo;une jeune sc&egrave;ne locale qui commen&ccedil;ait tout juste &agrave; s&rsquo;imposer dans des m&eacute;galopoles o&ugrave; triomphaient bo&icirc;tes pour milliardaires et repaires d&rsquo;expats, comme le Diva &agrave; Shanghai ou le Babyface &agrave; P&eacute;kin. Et si les quelques clubs &eacute;lec- tro underground, comme le tout nouveau All Club de Shan- ghai, valent &eacute;videmment d&rsquo;y passer une soir&eacute;e, c&rsquo;est surtout du c&ocirc;t&eacute; des QG hip-hop que se trouvent les cool kids locaux. Au Arkham Shanghai, qui accueille r&eacute;guli&egrave;rement des pointures internationales comme A$AP Mob ou la sensation indon&eacute;- sienne Rich Brian, on whip au son de DJs 100 % chinois. &Agrave; suivre de pr&egrave;s, le collectif Come Correct Crew et 1Ster, mixant rappeurs Soundcloud et d&eacute;couvertes chinoises comme la tr&egrave;s cool chanteuse R&amp;B ChaCha. Mais c&rsquo;est &agrave; Chengdu, ville aux quelque quatorze millions d&rsquo;habitants, que la sc&egrave;ne hip-hop bouillonne. Voix auto-tun&eacute;es, dreadlocks et esth&eacute;tique nineties, les groupes locaux d&eacute;sormais connus dans tout le pays font &eacute;cho &agrave; la vague de rappeurs n&eacute;o- trap venue des US, comme Lil Pump ou Lil Uzi Vert. Parmi eux, les Higher Brothers, qui mixent esth&eacute;tique hip-hop et r&eacute;f&eacute;rences &agrave; l&rsquo;h&eacute;ritage culturel chinois dans des clips &agrave; l&rsquo;auto-d&eacute;rision assum&eacute;e. Les vrais hip-hop heads tenteront donc le d&eacute;placement dans la ville du Sichuan pour aller danser au Nasa et assister aux mini-festivals qui s&rsquo;y d&eacute;roulent plusieurs fois par an, m&ecirc;lant performances et installations artistiques contesta- taires. Jusqu&rsquo;&agrave; la prochaine censure ?

Carnet d&rsquo;adresses

&nbsp;

Paris : le 824 
Heures, 114, rue Oberkampf, 11e, www.824heures.com.

&nbsp;

Berlin : Ohm, www.ohmberlin.com. Der Monarch, www.kottimonarch.de.

&nbsp;

D&uuml;sseldorf : Le salon des amateurs, www.salondesamateurs. de. Golzheim, www.golzheim.is.

&nbsp;

Copenhague : Mayhem, www.mayhemkbh.dk. stengade, www.stengade.dk.

&nbsp;

Stockholm : Hosoi, www.hosoi.se.

&nbsp;

Oslo : J&aelig;ger, www.jaegeroslo.no.

&nbsp;

Tbilissi : Bassiani, www.bassiani.com.

&nbsp;

Kiev : collectif CXeMa, www.c-x-e-m-a.com. Closer, www.face- book.com/closerkiev.

&nbsp;

Mexico : collectif naaFi, www.face- book.com/naaFimx. Yu Yu, www. facebook.com/ yuyuclubmexico.

Où se joue l'avenir du clubbing ?

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