La recette secrète de Coca-Cola : 130 ans de fantasmes
Etats-Unis, Atlanta, an 1886. Dans l’arrière-boutique de son officine, John Pemberton, pharmacien barbu aux allures de Géo Trouvetou, s’affaire à la fabrication d’un nouveau breuvage aux vertus médicinales. Son idée fixe ? Créer une boisson capable de calmer sa dépendance à la morphine, jusqu’ici seul et unique moyen de calmer les douleurs que lui infligent ses blessures rapportées de la guerre de Sécession. Alors il teste, goûte et modifie mille fois sa recette. Il s’arrête sur la composition suivante, originelle : de l’eau gazeuse, du sirop à base de caféine, du jus de citron, de la noix de cola et des extraits de plantes de coca. Du mal de crâne aux fatigues passagères, l’élixir est censé tout guérir. Mais fait-il effet ? Entre placebo et réel pouvoir de guérison, difficile de trancher. Reste qu’à l’orée du XXe siècle, le bouche-à-oreille commence à prendre.
Classée dans la catégorie « médicaments », la boisson est vendue 5 cents le verre en pharmacie et va prendre le nom de Coca-Cola. Pour la commercialiser, Pemberton s’associe à Frank Robinson, un homme de chiffres à l’ambition démesurée. Pour faire connaître le produit, Robinson va employer les techniques les plus modernes de communication, usant et abusant de la publicité pour faire entrer Coca dans tous les foyers américains. Cent trente années plus tard, largement soutenu par l’effort de guerre américain puis par la standardisation des modes de consommation, Coca a conquis la planète. Leader sur le marché des sodas, la firme américaine vend aujourd’hui 1,7 milliard de boissons par jour, elle est présente sur tous les continents... jusqu’aux pays contrôlant strictement leurs frontières (des baroudeurs interloqués auraient ainsi trouvé du Coca-Cola au menu des restaurants pour touristes de Pyongyang !).
A la fois firme multinationale et produit devenu objet pop art grâce à Andy Warhol, Coca accompagne nos vies, s’invite sur nos écrans télé et se construit même une image de mécène en sponsorisant fondations, festivals de musique et événements sportifs majeurs. L’hyper multinationale communique à tout-va. Reste un point sur lequel elle reste désespérément muette : la recette de son produit original. De quoi se compose donc ce breuvage qui coule à flots dans nos verres ? Coca-Cola cultive le mystère. Et cela n’a rien d’un mythe : pour les besoins de l’enquête, L’Optimum a sollicité plusieurs fois Coca-Cola France... Aucun entretien n’a finalement été accordé. La marque est d’accord pour communiquer autour de ses valeurs, en revanche la firme rechigne à communiquer autour de sa recette. Et pour cause : il ne subsisterait qu’un seul exemplaire de cette dernière, conservé tel un parchemin à la valeur inestimable sur le sol américain. Où exactement ? Deux hypothèses coexistent. Si l’on en croit la version officielle, le précieux bout de papier est conservé au Musée Coca-Cola d’Atlanta, dans un coffre-fort que les visiteurs peuvent toujours tenter de forcer, il ne s’ouvrira jamais...
Une version plus officieuse placerait, quant à elle, la recette dans la réserve de l’une des nombreuses banques de la ville. De quoi nourrir les spéculations et laisser place à tous les fantasmes. Sur internet, les conspirationnistes s’en donnent à cœur joie : les forums bruissent de rumeurs abracadabrantesques, l’une d’entre elles racontant même que seuls deux employés de la firme connaîtraient l’intégralité des ingrédients composant la recette du Coca-Cola. Par mesure de précaution, pour éviter que le secret ne disparaisse à jamais à la suite d’un malheureux accident, ces deux personnes ne voyagent jamais ensemble et ne prennent jamais le même avion... Que gagne la firme américaine à garder ce silence ? S’agit-il d’une technique de communication ? Pour Mariette Darrigrand, sémiologue et auteur de l’essai Sexy Corpus (Lemieux Editeur), « la valeur de la marque repose sur la non-communication d’un secret jalousement gardé, celui de sa recette unique qui procure du bien-être et du bonheur.
Mais attention, non communication du secret ne signifie pas silence pour autant. Dans le cas de Coca-Cola, on pourrait dire qu’il s’agit d’une communication du mystère. Cela tient d’une approche quasi religieuse : comme pour Dieu, on parle tout le temps de la recette du Coca, mais on ne l’a jamais vue ! » tout conduirait ainsi à penser que la firme d’Atlanta entretiendrait une légende urbaine sympathique, simplement destinée à propager le frisson de l’énigme. Pourtant, en 1977, comme le rapporte Sébastian Seibt, journaliste à France 24, « Coca-Cola avait été jusqu’à fermer ses industries en Inde car le gouvernement local voulait l’obliger à révéler son fameux secret de fabrication. » On était alors loin du marché indien porteur, estimé aujourd’hui à 1 milliard de dollars...
Puisque la firme américaine se refuse à s’exprimer officiellement, les scientifiques se sont penchés sur la recette du Coca-Cola. Premier enseignement, loin d’être figée, cette dernière a évolué au cours des dernières années. Fini la boisson médicinale du temps de Pemberton : aujourd’hui, on ne trouve plus de cocaïne dans le célèbre soda. Quant à l’alcool, présent dans la première mouture, il n’est plus décelé qu’en des quantités infinitésimales (0,001 % selon 60 Millions de Consommateurs qui a réalisé ses propres tests). Mais la principale nouveauté venue modifier en profondeur la recette originale, c’est la chimie. Acide citrique venant corriger le goût, acide phosphorique destiné à réguler le ph de la boisson... la présence de ces nouveaux composants inquiète légitimement, tout comme l’utilisation du colorant E150D, dit « colorant caramel », qui lui donne sa couleur. Selon Le Monde : « La molécule 4-MI présente dans ce colorant est reconnue scientifiquement comme provocant des cancers chez les animaux. Chez l’homme, elle serait à l’origine de leucémies. » En se penchant sur la présence du E150D, on apprend également que Coca-Cola modifie sa recette en fonction des pays et des législations, un procédé couramment utilisé par d’autres géants du secteur, y compris chez le grand rival Pepsi.
S’il est bien un point sur lequel les experts s’accordent, c’est sur les fortes teneurs en sucre présentes dans la recette originale, le tout à des taux largement supérieurs aux recommandations de l’OMS. En buvant un litre de Coca-Cola, on avale l’équivalent de 17 morceaux de sucre. Rien de tout cela n’est caché au consommateur mais, face à la fronde des ONG et des gouvernements lancés dans une véritable croisade en faveur du « mieux-manger», le géant américain a décidé de changer son fusil d’épaule. A tour de bras, il absorbe désormais des marques d’eaux minérales et des fabricants de jus, mais surtout, il élargit sa propre gamme de produits. En complément de la recette « classic », Light, Zéro et dernièrement Life ont ainsi fait leur apparition. Les deux premiers remplacent le sucre par de l’aspartame, le dernier va plus loin et utilise un composant naturel : la stevia. Résultat : 37 % de sucre en moins par rapport à la version originale mais surtout un joli greenwashing pour la marque qui, cette fois, communique. Une nouvelle donne qui n’étonne en rien Mariette Darrigrand : « Aujourd’hui, le vrai sujet, c’est la transparence. Il faut être tout à fait “clean” sur ses composants. La diversification de la gamme fait du bien à Coca-Cola. Les nouveaux produits remplissent le rôle demandé par les consommateurs dits responsables. Le moindre argument “healthy” est mis en avant. »