Kirsten Dunst, Gwyneth Paltrow : la revanche des blondes
Vous connaissez la chanson. C’est l’histoire d’une éternelle opposition-réunion entre deux figures que la fiction décline depuis des décennies dans un cadre scolaire : l’outsider revanchard et le prodige désœuvré. Le premier – souvent un(e) nerd complexé(e) – meurt dans l’ombre et le second – souvent le capitaine de l’équipe de foot secrètement dépressif ou la cheerleader secrètement dépressive – s’éteint en pleine lumière, avant une belle issue commune. Cet automne, les deux rôles sont tenus, respectivement, par Kirsten Dunst et Gwyneth Paltrow. Sublimes, pour des raisons infiniment différentes, dans On Becoming a God in Central Florida et The Politician, les deux femmes ont pris des virages parallèles menant à la même route. Celle de la renaissance. Un chemin qui passe, en l’occurrence, par la télévision, après que les deux Américaines ont vécu, chacune à sa façon, une petite tragédie cinématographique.
DINGUE ET MAGNÉTIQUE
Du côté de Kirsten, il s’agit peut-être d’un simple malentendu. Car tout avait bien commencé, avec une petite surprise dans Entretien avec un vampire (à 12 ans, rappelons-le) et une grande révélation dans Virgin Suicides de Sofia Coppola, cinq ans plus tard. Déjà secouée par une oscillation intérieure, dingue et magnétique, entre le chaos et la candeur, l’actrice existait plus fort, à l’écran, que 99 % de ses homologues. Pourtant, nous étions en 1999, et la malédiction venait de tomber. Trop douée, trop plurielle, l’actrice des grands écarts allait égarer la reconnaissance en enchaînant bonnes comédies adolescentes (American Girls), étrangetés sci-fi (Melancholia) et ovnis mal reçus (Marie-Antoinette). Une passion pour la métamorphose qui lui a coûté, selon elle, l’accès à l’Olympe hollywoodien : “Je n’ai jamais été nominée pour quoi que ce soit, disait-elle récemment sur la radio Sirius XM. À part pour un golden globe quand j’étais petite et un autre pour Fargo [...] Je n’ai jamais été reconnue par l’industrie du cinéma. Peut-être que je ne joue pas assez le jeu. Pourtant je fais tout ce que suis censée faire. Ce serait bien d’être reconnue par mes pairs.” Et même si Kirsten oublie quand même en route un prix d’interprétation féminine à Cannes pour Melancholia, un tout petit scandale prouve qu’il y a, depuis longtemps, maldonne. Fin août, au moment même où elle recevait enfin son étoile sur le Walk of Fame, Reuters twittait la news en parlant d’une actrice “plus connue pour son rôle de petite amie de Spider-Man”. Depuis, le tweet a été effacé, mais l’offense demeure.
PURE ET VIRGINALE
Gwyneth, elle, a vécu une autre histoire. Celle d’une beauté absolue apparue à Hollywood comme une dame blanche dans les phares d’une berline. Une incarnation – comme accouchée par le cinéma américain lui-même – quasi matricielle de ce qu’il est convenu d’appeler une grande actrice. De Seven (1995) à La Famille Tenenbaum (2001) en passant par des choses à la fois mineures et mémorables, comme Le Talentueux Mr. Ripley, la Californienne a surfé sur cette évidence. Qui, d’ailleurs, ne plaisait pas à tout le monde. Se souvient-on de Fernanda Montenegro (Central do Brasil de Walter Salles) déclarant, après que sa rivale eut reçu l’oscar pour Shakespeare in Love (1999), que Gwyneth Paltrow avait gagné parce qu’elle était “une figure romantique, fine, pure et virginale ” ? Oui, Fernanda, c’est exactement ça. Et tellement plus aussi. Mais pas assez, cela dit, pour garder Gwyneth sur son beau et droit chemin. Two Lovers de James Gray, en 2008, ne suffit pas à sauver près de vingt ans de retrait progressif, alimenté par des mauvais choix, des seconds rôles et du cachetonnage intensif au royaume des Avengers. Désormais à la tête de Goop, une marque de beauté devenue un petit empire lifestyle, Gwyneth ne cache plus s’être peut-être trompée de carrière : “Je ne dirais pas que ça ne me passionne plus, confiait-elle récemment lors de l’Advertising Week de New York. J’ai eu beaucoup de chance et j’ai beaucoup travaillé, ce qui m’a donné une belle carrière au cinéma. Mais à un moment, j’ai senti que ce n’était plus ce que j’avais envie de faire. J’ai donc pris une nouvelle direction.”
PATINE SANS RIDES
C’est donc à cet instant précis qu’il nous faut remercier le mari de Gwyneth, Brad Falchuk, producteur et auteur pour la série The Politician, sur Netflix. “Il est fantastique, il m’a en quelque sorte ramenée à mon ancien boulot [...] Il a fallu réussirà me convaincre, j’ai un gros boulot chez goop.com [...] Et puis il m’a dit qu’il écrivait un rôle pour moi. Je lui ai répondu que je ne pensais pas pouvoir le faire. Mais bon, me voilà.” Le rôle en question? Georgina Hobart, bourgeoise éthérée et mère adoptive d’un petit surdoué convaincu d’être le futur président des États-Unis. Mais tout comme le mari de Georgina ne la mérite pas, The Politician n’est pas tout à fait à la hauteur de Gwyneth. Bien rythmé, bien empaqueté, le show de Ryan Murphy est une comédie qui vit un drame : Gwyneth Paltrow, l’un de ses seconds rôles, joue trois divisions au-dessus de lui. À la fois distant et fragile, drôle et digne, son portrait de grande bovaryenne qui fuit l’argent de son mari pour sauter dans les bras de sa palefrenière allemande convoque l’ironie mélancolique d’une Margot Helen Tenenbaum en lui ajoutant, dix-huit ans d’existence plus tard, une miraculeuse patine sans rides. Bref, Gwyneth surnage de nouveau, et on rêve désormais, pour elle, d’un plus grand bassin.
BEAUTÉ AUX DENTS BAGUÉES
Kirsten, de son côté, a trouvé un terrain de jeu digne de sa dimension avec On Becoming a God in Central Florida, diffusée sur Showtime. Elle y campe Krystal Stubbs, une ex-reine de beauté aux dents baguées, mariée à un pauvre fou qui – déjà manipulé par un gourou dont l’entreprise cache mal une vaste arnaque – a le culot de se faire dévorer par un alligator. Reste alors une Krystal criblée de dettes, bébé au bras et bave aux lèvres, qui va tout faire pour récupérer sa mise et sa dignité. Quitte à organiser des sessions d’aquagym et des causeries façon développement personnel pour se venger de l’intérieur. Souveraine au sein d’un casting truffé de grands brûlés du capitalisme, Kirsten ressemble à la série. Délirante mais glacée, caricaturale mais juste, cynique mais naïve. Un rôle parfaitement taillé pour la plus blonde des oxymores. C’est ainsi, par ces deux portraits d’anciennes figurantes de leur propre existence dopées à l’empowerment, que les trajectoires de Kirsten Dunst et Gwyneth Paltrow se rejoignent enfin. Ni au sommet ni dans les limbes, mais là où elles doivent être. Au centre du jeu. De leur jeu, surtout. Alors oui, vous connaissez la chanson, mais le refrain est beau.